Mais où en sommes-nous dans les étapes du choc culturel…?

Cela fait un bon moment que je n’ai rien écrit ici. Et pour cause, une fois que l’on s’installe dans une certaine routine, on oublie parfois de raconter, on s’émerveille moins peut-être. On passe aussi par d’autres phases émotionnelles.

Arrivés à un carrefour et de nombreux questionnements quant à la suite de notre aventure ici, j’ai eu envie de vous parler de la théorie du choc culturel.

Quel chemin choisir ? Parc national de Manzanillo.

Alors, qu’est-ce que cette « théorie du choc culturel » ? Ayant vécu près de 4 ans au Japon, dans la lointaine époque où j’étais encore célibataire, j’avais eu la chance de participer à un fantastique programme ponctué de séminaires destinés à nous accompagner dans le processus d’adaptation à la culture japonaise puis au retour au pays d’origine. C’est là que j’ai entendu parler pour la première fois de la « théorie du choc culturel », qui avait particulièrement marqué ma mémoire et qui symbolisait en plusieurs grandes étapes le processus que traversent avec plus ou moins d’intensité toutes les personnes qui changent un jour de pays, ou même de lieu de vie.

Dans mes souvenirs, les grandes étapes de cette théorie là étaient les suivantes :

  1. La lune de miel : j’arrive dans un nouveau pays et à cet égard tout est dépaysant, magique, source d’émerveillement, de curiosité, d’excitation. Globalement il s’agit d’une palette de sentiments positifs.
  2. Le choc culturel : au fur et à mesure que je m’insère dans la vie quotidienne, dans ce nouvel environnement et cette nouvelle culture, je découvre certains challenges, certaines difficultés, la barrière de la langue, certaines déceptions de choses qui avaient l’air merveilleuses à la première étape et qui finalement ne sont pas aussi dorées.
  3. L’adaptation ou le rejet : enfin, je finis par trouver progressivement mes repères dans ma nouvelle terre de vie, j’accepte que tout ne soit pas parfait, d’être différent. Mon nouveau pays devient peu à peu ma « normalité », mon référentiel. Le rejet représente un scénario dans lequel je ne parviens pas à m’adapter et je choisis de revenir dans mon pays d’origine ou d’aller ailleurs.
Tel un beau coucher de soleil, l’effet « lune de miel ».

On peut imaginer pour ces étapes une courbe émotionnelle qui monte d’abord en flèche, puis retombe d’un coup, puis à nouveau remonte tout doucement. En réalité, et selon les autres sources que j’ai rencontrées en voulant écrire cet article, la courbe, telle la vrai vie, ne serait pas aussi simple et comporterait plusieurs collines, un peu comme une montagne russe. Il faut aussi évidemment ajouter que la courbe est propre à chacun et que, dans le cas d’une expatriation en famille, chacun avance à son propre rythme avec son tempérament et son bagage qui lui est propre.

On pourrait aussi distinguer deux termes : l’expatriation et la migration. Le terme « expatriation » est en général lié à un changement de pays pour motif professionnel alors que la migration est plutôt liée à un désir personnel. Dans les deux cas, elle peut être choisie ou subie, des fois choisie par un ou des membres de la famille et subie pour les autres.

Pour info, la théorie du choc culturel aurait d’abord été émise par l’anthropologue Canadien Kalervo Oberg en 1960 puis étayée par divers protagonistes. Une chose qui m’intrigue est que je n’ai vu dans tout ce que j’ai trouvé sur le net aucune trace de l’option « rejet du pays d’accueil » dans l’étape 3, que j’avais entendue lors de mon séminaire d’intégration au Japon. Je ne me souvenais pas non plus de cette 4e phase : celle de l’aisance biculturelle, qui pourtant est fondamentale et me parle beaucoup. Pour moi, il s’agit du passage de déséquilibre de l’étape 2 (je suis frustrée car je veux devenir comme eux – les locaux) à une étape d’équilibre (je ne suis pas et ne serai jamais vraiment autochtone car je sais que mes racines sont ailleurs, mais je l’assume et je me sens bien avec ça : mes racines sont ailleurs mais mes branches continue de croître ici, et chaque feuille qui en tombe vient nourrir le terreau qui est à la base de mon être).

Il est aussi intéressant de noter qu’il existe une théorie du choc culturel inversée (« reversed culture shock » en anglais) qui touche l’expatrié quand celui-ci revient dans son pays d’origine. Dans les grandes lignes, il vit les étapes du choc culturel mais vis-à-vis de son pays d’origine, ce qui peut être encore plus déroutant car souvent, l’on ne s’y attend pas, pensant que nos racines nous permettent d’emblée de nous sentir « chez nous », là d’où nous venons. Il serait intéressant d’interviewer des personnes nomades, où qui ont grandi à droite à gauche, à ce sujet.

Pour reprendre l’exemple du Japon, qui était ma plus longue et intense expérience de vécu dans un autre pays, aux codes culturels extrêmement éloignés de ceux de mon pays d’origine, je me souviens en effet d’être passé par ces différentes étapes du choc culturel. Fierté et euphorie d’être dans ce pays sur lequel j’avais tant fantasmé, appétit d’apprendre la langue (étape 1), mais aussi plus tard difficultés à nouer de réelles amitiés, solitude, frustrations avec mon niveau en langue, incompréhensions… (étape 2). Au plus bas de la courbe du choc culturel, je ne supportais plus de me sentir étrangère, différente, de faire des fautes dans la langues, ou que l’on me fasse sentir que je venais d’ailleurs, et cela est extrêmement difficile dans un pays insulaire où la proportion d’étrangers est très faible et où le mot « étranger » lui-même se dit « gai-jin » (littéralement « personne de l’extérieur »). Puis, je dirais à peu près au bout d’un an, j’ai enfin réussi à me constituer un réseau d’amis japonais. Je me sentais à peu près chez moi dans ce pays lointain et j’avais mes petites habitudes locales (étape 3). Peu à peu, j’ai appris à me sentir bien avec l’idée d’être une étrangère au Japon, à rire de mes fautes, à parfois jouer des atouts que procure le statut d’étrangère (comme le passe-droit de ne pas faire les tonnes d’heures sup’ au boulot dont les japonais ont la réputation) et inversement, de ne pas être « une vrai française » quand cela m’arrangeait ! Voilà pour l’étape 4.

A l’époque, étant seule, il était évident pour moi d’être immergée avec des locaux et d’apprendre la langue et la culture locale. Je pense que l’expérience aurait sans doute été différente en famille. J’ai finalement pris la décision de quitter le Japon car ma vie était devenue trop routinière et les rencontres restaient malgré tout difficiles.

De retour en France, j’ai effectivement connu des hauts et des bas, mais pas dans la temporalité que j’imaginais. Au lieu des quelques jours ou quelques semaines d’euphorie qu’est censé constituer la fameuse « lune de miel », je dirais que cette lune de miel a duré plusieurs mois, voire au delà d’une année. Puis je suis passée par une période très difficile de remise en question. Tout ça pour dire que les théories sont à prendre avec du recul, car pleins de facteurs peuvent venir affecter l’expérience de chacun. Mais cela reste intéressant de savoir qu’il y a cette constante.

Parc de jeu de bric et de broc à Puerto Viejo

Alors, je vous ai parlée de mon expérience personnelle au Japon, mais que se passe-t-il pour nous, actuellement après plus de six mois consécutifs passés en famille au Costa Rica ? Pour moi, qui ai donc eu l’occasion de vivre 8 mois aux Etats-Unis, 6 mois en Espagne et 4 ans au Japon, alors que j’avais la vingtaine et que j’étais célibataire, cette expérience vécue en famille sur ce continent américain est complètement différente. Et quelque part proportionnellement déroutante. Il faut ajouter à cela notre configuration : au Japon, j’étais venue en tant qu’expatriée, avec un travail qui m’attendait. Ici, nous sommes plutôt dans la configuration de migrants.

Force est de constater qu’en tant que famille, nous sommes beaucoup plus « entre nous », et donc forcément moins immergés, quand bien même nous avons logé chez des Ticos. Les plus « immergés » sont de loin les enfants, avec l’école. Pour eux, difficile d’intellectualiser et d’exprimer où ils en sont dans la courbe de l’adaptation, mais vers les six mois de séjour, il est vrai qu’il me semble avoir entendu plus de « les copains me manquent », « j’ai envie de retourner en France » et de « c’est dur l’école en espagnol ». Aujourd’hui, arrivés à neuf mois de séjour, j’ai l’impression d’entendre moins de nostalgie et plus de choses positives sur l’école et le quotidien.

Séjour à El Jobo, tout au nord ouest du Costa Rica. Très sauvage et singulier.

Le Cap’tain quant à lui semble avoir eu de la frustration de ne pas progresser plus vite en espagnol et en anglais, mais je ne veux pas m’exprimer à sa place sur le reste. Dans le fond, il n’est pas simple de savoir où les autres en sont vraiment dans ce cheminement si intime.

Quant à moi je suis perplexe. A vrai dire, j’hésite à arrondir les angles pour vendre du rêve sur ce blog, destiné à partager nos aventures ici au Costa Rica, ou à me rapprocher de la vérité de ce que je ressens vraiment car je trouve toujours cela plus instructif.

En effet, je pense que si je suis vraiment honnête avec moi-même, je suis un peu dans l’option « rejet » dont j’avais entendu parler lors de cette fameuse conférence. Pas que je ne me sente pas intégrée ni en plein désespoir, ni même que je déteste l’endroit. Objectivement parlant, il y a plein de belles choses ici (cette magnifique faune et flore, pour ne citer que cela !), comme d’autres moins chouettes, que je pourrais passer des heures à tenter d’expliquer ici pour faire valoir ma position. Mais ce n’est pas vraiment ça, dans le fond. La réalité est beaucoup plus subtile et absolument subjective. La vérité c’est plutôt… que peut-être que l’endroit ne m’a pas fait vibrer en intensité autant que ce que j’ai pu expérimenter ailleurs. Pas d’effet lune de miel fulgurant, ni de grosse claque prise six mois plus tard. Et dans le fond c’est peut-être ce manque d’intensité, cette platitude inattendue, qui me fait questionner la suite de notre aventure ici. Est-ce le fait d’être en famille ? Je ne sais pas trop.

Nous voici donc à ce croisement. Moi rêvant d’ailleurs, les enfants de retrouver leurs copains en France et notre Cap’tain, un peu entre tout ça mais avec plus d’attache à ce Costa Rica qui nous a fait tant nous projeter ces dernières années.

Mais, où que les courants nous amènent, ce que j’aime dire et redire c’est que l’important, ce n’est pas la destination, mais le chemin.

En attendant, on a encore plein de choses à raconter sur le Costa Rica. Alors tenez vous prêts pour de nouveaux récits !

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